samedi 19 août 2017

Etre attentif au point de vue des autres c’est important ! Mais ça peut mener au désastre… Optimisme comparatif et lutte contre l’obésité.

Contrairement à ce que laisse entendre le titre, je ne vais pas vous parler ici des tristes joies de l’égocentrisme ou alimenter la légitimation de l’autocratie. Non, en fait je parle (encore) d’agir sur les comportements… Il est tentant de penser que la première condition pour peser sur des comportements est de comprendre comment les gens voient leur comportement. En effet ce sont eux qui « se comportent » d’une manière ou d’une autre, et si ça doit changer ce sont ces gens qui réaliseront effectivement le changement. Cette idée que comprendre serait indispensable semble évidente et naturelle. Hélas il n’existe pas de méthode parfaite, et écouter autrui conduit parfois à des ratés lamentables...
Car autrui peut raconter n’importe quoi, en particulier quand il s’agit de juger de soi (notamment à cause d’un phénomène qui s’appelle l’optimisme comparatif), les conséquences peuvent être graves, comme on peut l’illustrer avec l’épidémie d’obésité...



Notez bien que je ne me désolidarise pas de ces gens qui pensent qu’il faut d’abord comprendre, je suis le premier à conseiller de commencer par comprendre le comportement du point de vue des personnes qui le réalisent. Il se trouve que c’est un excellent point de départ, en revanche, il ne faut pas croire qu’on peut se contenter de ce premier pas. Relier les représentations aux actes n’est pas si simple, a minima car il n’est pas toujours facile de partager un point de vue. En se contentant d’écouter les gens, on prend même parfois le risque de tomber complètement à côté du problème et de  mettre en place des actions absolument inefficaces...



Je sais, le parallèle est un poil outré. On peut douter aussi bien de la bonne volonté du Général que de sa compréhension. Pour les trop jeunes, une analyse de ce grand moment de communication, ici
J’ai récemment entendu parler d’un exemple frappant de ce type de problème, au sujet de l’obésité, et je trouve que ça illustre bien ce phénomène psychosocial. L'optimisme comparatif, pour simplifier, est un biais cognitif qui tend à nous faire percevoir qu’on aurait tendance à être plus chanceux que les autres, par exemple confrontés à la statistique objective qu’un mariage sur deux échouent, la plupart des gens jugent que leur propre mariage, lui, à de très fortes chances de bien marcher (« même ceux qui en sont à leur troisième mariage d’ailleurs », comme le dit Olivier Sibony).

L’optimisme comparatif

Ce phénomène s’observe classiquement en demandant d’abord de juger d’une statistique moyenne puis de situer leur cas personnel, par exemple on demande à des personnes de juger de la probabilité moyenne de déclencher un cancer, et ensuite, quel est le risque pour eux personnellement. Bien sûr les gens peuvent être un peu objectifs selon leur mode de vie, mais en moyenne on voit bien que la majorité croit que le risque est plus faible pour soi que pour la moyenne. Une manière rigolote de le dire se voit aussi dans le jugement sur la qualité de notre conduite, quand on demande aux gens s’ils sont dans les 50 % de meilleurs conducteurs, 70 à 80% des personnes interrogées répondent oui… On sait aussi, via des études sur le sexisme, que là où un groupe d’étudiantes jugent que 80 % des femmes font probablement plus de tâches domestiques que leur conjoint, pour elle le risque que cela arrive est inférieur à 50%. Dans la même veine, on sait qu’on juge toujours avoir plus d’activité physique que l’on en a réellement, ou que l’on se reconnait plus vite sur des photos retouchées positivement que sur des photos naturelles. Une présentation plus détaillée, avec aussi des éléments sur la méthode d’observation, est visible . En tous cas, l’optimisme, c’est super !

En général la question que se pose tout le monde est de savoir si l’optimisme est bénéficiaire ou non, je vous passe les détails, ça dépend, et il y a de gros inconvénients mais globalement c’est mieux, on voit notamment que les optimistes vivent en moyenne plusieurs années de plus que les pessimistes !

Dans les inconvénients de l’optimisme il faut compter ses conséquences indirectes, et pour un groupe les conséquences sont démultipliées. L’épidémie d’obésité, du fait du nombre de personnes concernées justement, menace d’induire des effets délétères supplémentaires. Je ne développe pas sur la problématique, mais juste pour situer, quelques chiffres de 2014 peuvent être trouvés ici (avec quelques surprises, du moins pour moi qui ne connaissait pas le sujet). 
Le lien avec l’optimisme, c’est que cela induit des phénomènes culturels. Une amie Néo-zélandaise m’a raconté qu’en Australie et au Royaume-Uni, qui ont un assez fort taux de prévalence de l’obésité, les médecins subissent le problème d’avoir des études épidémiologiques dans lesquelles les gens en surpoids ou obèses ont tendance à rapporter qu’ils sont plutôt actifs (ils se voient d'ailleurs comme plus actifs que la moyenne) et ne se nourrissent pas trop mal (et probablement mieux que la moyenne à leur avis). Comme il est très difficile d’avoir une vision objective de l’activité physique d’un individu et de son alimentation et que le problème de l’obésité est multi-factoriel, cette situation contribue à survaloriser l’hypothèse qu’il s’agit d’un désordre physiologique et non la conséquence d’un mode de vie (un problème comportemental).

Précision concernant la stigmatisation du surpoids

Même si ce post donne l’impression de contribuer à stigmatiser les personnes en surpoids, je tient à préciser clairement que je les vois plus comme des victimes que comme des coupables. Le productivisme à tout crin, la doctrine consumériste et la recherche permanente du bénéfice financier immédiat au détriment d’un bénéfice fonctionnel durable, avec incidemment la puissance du lobby agro-alimentaire (vous savez qu’ils ont réussi à faire classer la pizza comme un « légume » aux USA ?) sont probablement bien plus en cause que le libre-arbitre individuel et sa piètre efficacité à se traduire en acte (on peut s’améliorer cela dit, j’en ai déjà parlé ici), mais ce n’est pas le sujet, je pourrais d’ailleurs vous parler une autre fois de pourquoi on a tendance spontanément à stigmatiser les victimes plutôt qu’à faire le moindre effort pour comprendre leur parcours.
En outre, je précise qu’il ne s’agit pas ici juste de respecter un canon esthétique vain et discutable, le surpoids, tout comme le sous-poids d’ailleurs, sont des facteurs objectivement dangereux pour la survie des individus :

« Alors que le risque de mourir avant 70 ans est de 19% pour les hommes et de 11% pour les femmes ayant un IMC normal, il grimpe à 29,5% pour les hommes et 14,6% pour les femmes modérément obèses (IMC de 30 à 34,9) », les détails, .


Les biais individuels ont des conséquences collectives

Mais revenons à nos anglo-saxons. On m’a rapporté que dans ces pays il arrive que l’on rencontre des gens tellement habitués à l’obésité générale qu’ils voient les personnes minces comme un peu « anormales », des gens dotés d’un organisme un peu exceptionnel (comme les gens très grands ou très petits). Ils sont même parfois tentés de soupçonner à ces maigrichons un problème de santé ! Il semblerait d’ailleurs que certains parents en fort surpoids et entourés de gens en surpoids soient tentés de demander à leur médecin pourquoi leur bébé est si maigre, inquiets qu’ils sont (en bons parents) de sa santé… Là je pense qu’on peut parler de représentations sociales, dans ce qu’elles ont de spécifique à un groupe (j’ai prévu un billet à ce sujet pour bientôt).


Cette idée d’évolution de ce qu’on pourrait appeler la « norme pondérale » me fait penser qu’on doit pouvoir craindre une aggravation des conséquences négatives de ce phénomène social. Au vu des choix agro-industriels et sociétaux qui sont faits, l’épidémie va continuer à empirer et la sensation de corps « normal » devrait donc se décaler vers des corps plus gros. A votre avis, combien de temps et quel pourcentage d’obèses dans la population faut-il pour qu’on commence à considérer que ce sont les minces qui sont hors-norme ?

On peut même supposer qu’il ne faudra guère de temps pour que certains « thérapeutes » se mettent à proposer (de bonne foi !), des sortes de « traitements » pour que ces « exclus » puissent interagir sainement et normalement avec les autres sans avoir à subir leur terrible et infortunée maigreur… Pour conclure, si un jour on vous vante les bienfaits pour la santé des tout-petits de la mono-diète de pizza double fromage ce ne sera peut-être même pas de la provocation, mais une forme compliquée de construction sociale !


Je n’ai pas d’élément empiriques objectifs pour étayer ce que l’on m’a dit sur ces cas anglo-saxons, mais un article du Guardian, ici, souligne certains points congruents. Une étude médicale, , documente par ailleurs un effet intéressant dans notre contexte : « l’obésité se propage par les liens sociaux » !


Bon allez, un bon burger pour la route…

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