mercredi 10 octobre 2018

Peut-on espérer un peu de distance (de sécurité) de la part des automobilistes qui dépassent un cycliste ?

Il y a quelque temps maintenant, j’ai rencontré lors d’une formation au changement de comportement (à laquelle je participe régulièrement depuis quelques années) un fonctionnaire territorial et cycliste accompli avec qui on a imaginé, en rigolant d’abord, une belle étude sur les dépassements des cyclistes et l’impact du statut social ! En gros comparer à quelle distance on se fait doubler quand on porte un jogging et une capuche ou un costume trois pièces par exemple. Je n’ai jamais le temps de m’y mettre, mais je compte bien avancer sur le sujet et je viens enfin de commencer ! Par une petite revue de littérature, dont je vous en livre une version courte ici même !


Source : http://velobuc.free.fr/distance-laterale.html (En France distance latérale de sécurité : 1 m en agglomération et 1.5 hors agglomération.

Pour les cyclistes, le plus gros risque de collision avec des véhicules motorisés se situe aux carrefours, mais en ligne droite la vitesse des véhicules induit une forte dangerosité même si les accidents sont moins fréquents. En outre, les dépassements trop proches induisent un fort sentiment de danger et nuisent à l’intention de se déplacer à vélo. Quelques recherches évaluent les facteurs qui expliquent la distance de dépassement et notamment les effets de l’apparence du cycliste.

Un chercheur anglais, psychologue qui plus est, en poste à l’université de Bath, Ian Walker (voir ici) s’est beaucoup intéressé au sujet et a publié plusieurs papiers. On y relève des enseignements intéressants :
  • Le fait de rouler plutôt vers le milieu de la voie induit des dépassements plus proches (le papier ne documente pas, en revanche, la fréquence de dépassement, qui doit être plus faible, comme le pensent de nombreux cyclistes qui conseillent cette pratique, un exemple .
  • Le fait de porter un casque induit aussi des dépassements plus proches (le débat sur l’utilité du casque à vélo est vaste et compliqué. Il donne, je trouve, plutôt à penser qu’obliger au port du casque est une erreur, ceci en est une des raisons).
  • Inversement le fait d’être une femme induit des dépassements plus larges (sans qu’on sache si cela s’explique plutôt par les représentations sur les compétences des femmes cyclistes ou par une tendance à vouloir protéger les femmes…). Ce résultat a été corroboré en Floride et à Taiwan, montrant qu’il ne s’agit pas d’un bais culturel spécifique à l’Angleterre.
  • Les résultats issus des expériences de Walker montrent en outre que les véhicules longs (bus et camions) dépassent plus serrés. Un résultat d’ailleurs cohérent avec les données d’accidentologie qui montrent que les véhicules long sont plus souvent impliqués dans des collisions avec des cyclistes.


Une étude de Walker en particulier, traite une partie de la question qui nous intéressait, la dimension « sociale » de cette interaction. Il compare différentes « tenues » et leurs effets sur la distance de dépassement. L’hypothèse (qui suppose des comportements assez rationnels) est que ces tenues informent sur le niveau d’expérience de la pratique du cyclisme et pourraient induire des déplacements d’autant plus « serrés » que le cycliste semble expérimenté. Cela va de la tenue de sport stéréotypée, soulignant une pratique régulière, jusqu’à une veste jaune disant « Cycliste novice », ainsi que divers intermédiaires, dont une veste jaune, disponible dans le commerce, disant « POLICE » et avertissant que le cycliste enregistrait le trajet en vidéo. Une autre veste jaune porte un jeu de mot « POLITE » pour jouer sur la confusion sans vraiment signaler un supposé agent de police. En pratique ça donne ça :

Source : l'article de Ian Walker cité au-dessus et tout en bas du billet.

L’étude des distances de dépassement observées sur des trajets répétés régulièrement pendant des mois (5690 dépassements en tout) avec ces différentes tenues montrent que la seule qui induit une différence statistique notable est la tenue mentionnant « Police » (les données sont compliquées mais à titre indicatif on peut noter que 24,5 % de dépassements ont lieu à moins d’un mètre pour la tenue « Police » contre 43,1 % pour la tenue « Polite » qui est la pire de la série). Autre point saillant, contrairement à ce qu’on pourrait espérer la mention « Cycliste novice » n’induit aucune différence par rapport aux vêtements qui soulignent la pratique régulière.
Raté pour l’hypothèse de rationalité implicite…
Ce n’est pas là-dessus que les automobilistes s’appuient pour décider. Par contre, la peur (ou le respect) de la police marche assez bien, et si vous devez être un cycliste, soyez d’abord policier, policière surtout, si vous voulez maximiser vos chances de survie.


Pour rentrer un peu dans le détail, ses résultats peuvent laisser à penser qu’il est possible de peser un peu sur le dépassement car certains vêtements induisent des dépassements supérieurs à un mètre pour la majorité des véhicules. Mais enfin malgré ce petit effet, les données montrent qu’approximativement 1 à 2 % des dépassements ont lieu à moins de 50 cm des cyclistes et ceci quelles que soient les tenues portées. Pour l’auteur, bien que rares le caractère systématique de ces dépassements annihile toute utilité réelle de solutions de préservation de bonnes distances de sécurité. Il en déduit que seule les solutions infrastructurelles, éducatives ou légales pourront prévenir la totalité des dépassements dangereux de cyclistes.

Cette position est bien compréhensible en termes de recommandations envers les politiques publiques. Cependant, étant donné la faiblesse des orientations politiques en faveur du développement des infrastructures cyclables et de la promotion des modes alternatifs à la voiture en France, et puisque de nombreux cyclistes sont régulièrement amenés à circuler sur des voies partagées avec des véhicules motorisés, il nous paraît que la question reste importante en pratique pour de nombreux individus, et continuera de l’être pendant assez longtemps : A vélo, comment se vêtir/s’équiper pour minimiser le risque de dépassement dangereux ?


A lire pour le point de vue du moniteur d’auto-école !
  
Cette revue de littérature très rapide montre des résultats assez intéressants je trouve, mais c’est dommage que d’autres dimensions sociales ne soit pas investiguées malgré un fort impact potentiel. En particulier si les femmes sont traitées différemment, on peut imaginer que d’autres dimensions jouent, notamment le statut, l’âge ou la richesse.

En outre, il serait intéressant de comparer les pratiques dans différents environnements (ville et campagne particulièrement) et de comparer des sites de déplacements domicile-travail et de parcours de loisir/sport, la question de l’usage d’un vélo personnel ou d’un vélo « public » (en libre-service type Véli’b ou location de longue durée type MétroVélo à Grenoble). Au surplus il serait aussi utile de documenter les pratiques ayant lieu en France puisque les chiffres ne semblent pas exister pour notre territoire. On pourrait du coup comparer un peu les régions/villes entre elles et observer, par exemple, les effets de la part modale du vélo sur les distances de dépassement.

Bref, ce premier tour de la littérature existante me semble confirmer qu’il serait utile de mener d’autres études sur le sujet. Je vais donc m’efforcer de faire avancer (financer surtout) ce projet…



Merci beaucoup à CarolinaMartinez Tabares et Nadine Chaurand qui m’ont pointé et transmis les articles.

Deux références centrales (sachant qu’il y a un peu plus de publications sur le sujet mais pas des dizaines) :
  • Walker, I., 2007. Drivers overtaking bicyclists: objective data on the effects of riding position, helmet use, vehicle type and apparent gender. Accident Analysis and Prevention, 39, 417–425.
  • Walker, I., Garrard, I., Jowitt, F. 2014. The influence of a bicycle commuter’s appearance on drivers’ overtaking proximities: An on-road test of bicyclist stereotypes, high-visibility clothing and safety aids in the United Kingdom. Accident Analysis and Prevention, 64, 69-77.




1 commentaire:

  1. Le siège enfant, même vide, semble également influer sur le comportement des automobilistes. Instinct de survie de l'espèce humaine certainement...

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