La question de la fraude est assez récurrente dans les domaines des transports. Moi-même j'en ai déjà parlé, en concluant que l'essentiel était peut-être de commencer par parler aux non-fraudeurs pour leur faire regarder de travers les fraudeurs au lieu de revendiquer une posture débonnaire et compréhensive à l'égard d'individus qui, manifestement, se déplacent à leurs frais.
La RATP n'est pas du même avis, eux ils semblent persuadés que la solution consiste à parler au fraudeur de la règle, et au passage à le mettre en scène, en costume, jeune et branché... Une vraie stigmatisation !
Outre ce choix stratégique discutable, à mon humble avis du moins, ceux qui auront lu mon billet du 28 mai, sur l'aléa inhérent à demander à la publicité de changer des comportements, reconnaîtront tout de suite l'énorme travers dans laquelle cette campagne de communication est encore tombée.
Une fois encore on fait implicitement la promotion du comportement que l'on souhaiterait explicitement voire disparaître. Vous me direz que je me répète et qu'il est inutile de critiquer une par une toutes les campagnes qui font cette faute. Certes. En fait, je saute surtout sur l'occasion pour vous exposer des preuves expérimentales sur le sujet, puisque je ne l'avais pas fait dans le post précédent.
Robert Cialdini, pop-star de la psychologie de la persuasion et de l'influence a fait une belle étude sur ces enjeux de communication qui montrent le bon ou le mauvais comportement. Il est notamment intervenu au sein du parc national de la forêt pétrifiée (EU) qui avaient un petit problème de vol.
Les visiteurs, du moins certains d'entre eux ont en effet la fâcheuse tendance de piquer des morceaux de bois pétrifiés. A tel point que plusieurs tonnes disparaissent ainsi chaque année. Le parc s'est donc fendu de panneaux d'affichages qui disent :
«Your
heritage
is
being
vandalized
every
day
by theft
losses
of petrified
wood
of 14 tons a year,
mostly
a small
piece
at
a time»
Hélas, ce ne fonctionne pas, pire, il semblerait que les vols augmentent...
Ce qu'ici aussi le message a beau dire que ce n'est pas bien, il dit aussi que tout le monde le fait.
Notre chercheur en psychologie, à donc mené une petite expérience, avec deux types de messages.
Dans une première situation, les visiteurs voient un message strictement normatif, accompagné d'une photo montrant trois visiteurs prélevant du bois pétrifié :
«Many
past
visitors
have removed
petrified
wood
from
the Park, changing
the natural
state of the Petrified
Forest»
Dans une seconde situation, le message est clairement restrictif, et est accompagné d'une photo montrant une main prélevant un morceau de bois, le tout recouvert d'un cercle rouge barré :
«Please
don’t
remove
the petrified
wood
from
the Park, in order
to preserve
the natural
state of the Petrified
Forest»
Comme les élements théoriques sur la norme permettent de le prédire on observe que le premier message (normatif), loin de freiner les vols, les fait augmenter ! On passe de 3 % de voleurs avant les messages à 7,92 % de voleurs ! Ceci avec un message qui prétend avoir l'effet inverse... On peut d'ailleurs supposer qu'en plus de souligner implicitement qu'un tel comportement est normal, ce genre d'affiche donne aussi l'idée à ceux qui ne l'avaient pas encore eue. Belle performance.
Le second message (restrictif), bien que très peu différent du premier, lui est suivi d'un taux de voleurs de 1,67 %, moindre donc que le taux initial de 3 %, preuve que c'est utile de faire de la communication, quand on la fait correctement.
Vous me direz qu'il fallait bien informer du changement de règle. Peut-être, mais était-il nécessaire de valoriser la fraude en même temps ? Il aurait pu suffire de mettre un beau cercle rouge barré en plus... Ou éventuellement un signal un tantinet plus subtil, mais en tous cas de parler de la règle en montrant le "bon" comportement.
Ah, et si les chiffres vous paraissent faibles, calculez tout de même, en se basant à la louche sur des chiffres de la presse, qu'avec un ordre de grandeur de 10 % de fraudeurs, la RATP semble avoir un manque à gagner de 250 millions d'Euros, donc même quelques points de gagnés font un sacré bénéfice.
Le lien vers l'étude de Cialdini en full-text (et en anglais), ici.
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