Ok, ok, j’en rajoute un peu. Je veux juste dire que, dans certains contextes, des modifications en apparence
assez mineures, d’un simple message écrit peuvent suffire à induire une nette différence de comportement pour ses lecteurs. Conceptuellement
l’étude que je vais présenter ici est reliée au sujet de la preuve sociale dont j’ai déjà parlé à propos de l'incitation implicite au vol dans le parc national de la forêt pétrifiée. Le cas d’application est le fait
d’utiliser plusieurs fois les serviettes à l’hôtel (plutôt que de les faire
changer par des propres tous les jours).
Juste avant d’entrer dans le vif
du sujet, je tiens à souligner ici un petit élément annexe de la culture
scientifique. Lors de la rédaction d’un article de recherche (comme d’autres
articles d’ailleurs) trouver le bon début est toujours un peu pénible, il faut relier
rapidement, mais sans dire de bêtises, une problématique ultra-générale qui
touche tout le monde à la description précise du micro-sujet que vous traitez.
Chacun son approche, on voit le plus fade comme le plus abstrus, mais dans cet
article précis l’introduction est assez mémorable. L’auteur explique que, jusqu’à
récemment le plus grand dilemme que l’on pouvait rencontrer à propos des
serviettes d’hôtel était bien résumé par une blague, que raconte un comique
connu à propos de l’endroit où il avait dormi la nuit précédente :
« Quel hôtel !! Les serviettes étaient si épaisses et duveteuses que j’ai eu du mal à fermer ma valise ce matin... »
Humour, promotion d’un
comportement immoral et mise en situation du sujet, le tout en moins de six
lignes. Performants ces auteurs ! Ils enchaînent ensuite sur le fait qu'aujourd'hui un autre dilemme existe a propos des serviettes des hôtels : Va-t-on les réutiliser ou pas ?
Pour des raisons écologiques et
énergétiques bien connues, il serait bon de ne pas les laver plus souvent que
nécessaire. Malgré tout, la plupart des gens ne font spontanément pas attention
(ou s’en fichent l’étude ne le précise pas) et utilisent à chaque douche des
serviettes propres...
Alors que faire ?
Ce qu’on fait les hôteliers, depuis
quelques années maintenant, c’est mettre des petits mots d’information, soit
dans les salles de bains, soit ailleurs, qui expliquent généralement qu’il ne
faut pas laisser les serviettes par terre sauf si on tient à en avoir des
propres. Explication complétée par un message qui essaye d’inciter au bon
comportement en disant, la plupart du temps, que c’est utile pour l’environnement
et la conservation de l’énergie, en soulignant parfois qu’il s’agit de coopérer
avec la politique écologique de l’hôtel, et, plus rarement, en précisant que l’économie
réalisée va financer quelque chose d’écologique, comme des dons à une
association par exemple. Bref du classique, qui paraît évident et naturel a
priori.
Là-dessus arrive notre
psychologue social de service, qui parvient à mener une expérience dans un hôtel de 190
chambres (d’une grande chaine … Inn) en Arizona. Ils comparent différents
messages : un message du type sus-décrit, utilisé spontanément dans les hôtels ; un message basé sur le ressort de la preuve sociale (qui informe que la
majorité des gens adoptent le comportement prescrit) :
Message « classique » : AIDEZ A SAUVER L’ENVIRONNEMENT. Vous pouvez faire preuve de respect pour la nature et aider à sauver l’environnement en réutilisant vos serviettes durant votre séjour.
Message « social » : ASSOCIEZ-VOUS AUX AUTRES CLIENTS EN AIDANT A SAUVER L’ENVIRONNEMENT. Près de 75% des clients à qui l’on demande de participer à notre nouveau programme d’économie de ressources aident en utilisant leurs serviettes plus d’une fois. Vous pouvez vous associer à eux et aider à sauver l’environnement en réutilisant vos serviettes durant votre séjour.
Vous voyez que la différence
porte essentiellement sur cette idée de savoir ce que font les autres, et un
peu sur la longueur du message. Notez que les messages sont mieux finis à
l’origine, j’ai traduit assez littéralement. Ca donne ça en pratique :
Résultats
Le message
« classique » obtient un taux de réutilisation de 35,1 %
Le message « social »
obtient, lui, un taux de réutilisation de 44,1 %
Soit presque 10 % de différence
(statistiquement significative). Cela peut paraître peu (surtout comparé aux 75
% annoncés pour illustrer l’idée de comportement majoritaire), mais pour juste
quelques mots de différences c’est plutôt rentable, surtout si on compte
l’impact annuel en lessive et en énergie économisée.
Ceci nous rappelle que le comportement des individus est bien plus naturellement étayé par la
comparaison avec les autres que par des raisons d’agir en soi. Pour les
hôteliers par contre, on peut bien
entendu penser que la généralisation de ces incitations n’a aucun rapport avec
un éventuel bénéfice économique annexe au bénéfice écologique… Qui est bien réel de toute façons.
(Rivière Irk, près de
Manchester, détails et source, ici)
La référence de l'article sur lequel est basé ce billet :
Goldstein, N.J., Cialdini, R.B., Griskevicius, V. (2008). A room with a viewpoint: Using social norms to motivate environmental conservation in hotels. Journal of Consumer Research 35: 472–482.
Pour ceux que ça intéresse, l'article en full-text peut être trouvé là, en anglais of course.
Bonjour,
RépondreSupprimerPour les Parcs Nationaux de France, nous avons ajouté un levier à ce dispositif : le récepteur peut afficher son choix aux yeux de tous, en actionnant une petite molette au verso qui laisse apparaître dans une fenêtre un "Oui" ou un "Non". Qu'en pensez-vous ?
Excellent week-end !
Jean-Marc Badaroux
Agence Nudge Me