C’est le moment de l’année où il
n’est pas ridicule de prendre de bonnes résolutions. Pour ma part, j’aimerais
réussir à publier un peu plus fréquemment sur ce blog. J’ai juste eu beaucoup
trop de boulot depuis un an ce qui explique une fréquence de post égale à zéro...
Ma vie perso ne vous intéresse guère ? Je comprends bien, j’arrête là, et
je passe au sujet du jour : l’implémentation des intentions.
L’enfer est pavé de bonnes intentions
En fait cette histoire de bonnes
résolutions est un vrai sujet. J’en suis le premier surpris d’ailleurs, parmi
les mille et une manières de faire changer les comportements, je n’aurais
jamais vraiment envisagé cette solution-là comme étant performante. En fait je
ne fais que partager une idée reçue, car généralement on ne croit guère à
l’effet des bonnes résolutions. Oscar Wilde souligne bien l’idée dans le
portrait de Dorian Gray (traduction
personnelle) :
Les bonnes résolutions sont de vaines tentatives d’interférer avec les
lois de la nature. Leur origine est la pure vanité. Leur résultat est absolument
nul.
Pourtant vous pourriez supposer
que prendre la décision de changer soit au moins un point de départ. Vous
pourriez même aller jusqu’à croire que le fait de vouloir changer soit
suffisant pour qu’il se passe quelque chose. C’est vrai que la bonne volonté
c’est comme de vouloir aller quelque part, c’est nécessaire pour que l’action
ait lieu, mais le fait que les éléments soient contre vous ou au contraire que
tout vous soit souriant est un paramètre dont va fortement dépendre le résultat
de l’action.
En fait, à lire certaines études,
et notamment les expériences de Peter Gollwitzer, on constate qu’à intentions
égales, c’est le processus de mise en œuvre qui change tout. Ces travaux ont
même documenté les conditions qui facilitent la traduction en actes des
intentions.
1) Tous les objectifs ne se valent pas
En psychologie, de nombreux
résultats montrent qu’une forte intention est plus prédictive d’un passage à
l’acte qu’une intention faible (voir les travaux d’Azjen). Les corrélations
sont cependant faibles, les intentions ne rendent compte que de 20 à 30 % de la
variance des comportements. Au contraire,
le comportement passé est lui un bon prédicteur du comportement futur, ce qui
souligne bien que changer n’a rien de facile. Pour un psychologue il ne paraît
donc pas inutile de former de bonnes intentions, mais celui qui s’en contente pèche
par optimisme. Comme dans beaucoup de cas, il est nécessaire d’avoir un but,
mais on a plus de chances de l’atteindre avec un bon programme d’action. Les
recherches de Gollwitzer visent à identifier les éléments qui permettent
d’augmenter ces chances. Pour cela il a notamment demandé à ses étudiants
quelles étaient leurs « résolutions » de nouvelle année, et ce qu’ils
avaient fait pour les atteindre, avant d’évaluer s’ils avaient atteint leur(s)
but(s). On peut tirer de ces recherches les bases d’une sorte de guide de
comment s’y prendre pour atteindre ses buts, que je vais vous résumer
ci-dessous. D’abord quelques conditions bien connues qui augmentent les chances
que vos résolutions soient suivies d’effet :
- Choisissez un but spécifique plutôt qu’un but vague ou général. Commencez par un problème, et un seul, le but doit être suffisamment explicite et clair pour être simple à énoncer, idéalement, vous devez pouvoir l’écrire en quelques mots. L’effet semble surtout provenir du meilleur feedback et de la meilleure capacité d’auto-évaluation que fournit un but précis.
- Choisissez un but proche dans le temps plutôt qu’un but lointain. En plus de l’évidence qu’est la facilité éventuelle de l’objectif et le moindre nombre d’étapes à réaliser, les mêmes raisons que précédemment semblent expliquer la différence d’effet.
- Choisissez un but d’apprentissage plutôt qu’un but de réalisation. Sans avoir de détails sur les raisons expliquant le phénomène, il semble clair qu’il est plus facile d’atteindre un but défini comme le fait de savoir faire une chose qu’un but défini comme un certain niveau de performance dans une tâche.
- Choisissez un but positif plutôt que négatif. Globalement, les buts sont plus souvent atteints quand on veut obtenir quelque chose ou que l’on vise à la présence de quelque chose que quand on veut éviter quelque chose.
- Cherchez des solutions d’intégration pour éviter la concurrence entre objectifs. Par exemple, pour éviter la concurrence entre le but d’étudier et le but de voir ses amis, la solution peut être d’étudier en groupe.
2) Le changement est un processus
Outre ces points spécifiques se
pose, deuxièmement, la question générale du choix de la voie à suivre pour
atteindre le but, car souvent plusieurs solutions sont possibles. La résolution
d’avoir une pratique sportive régulière par exemple, peut être atteinte aussi
bien en organisant des activités le week-end entre amis qu’en pratiquant seul
en semaine, ou autres modalités. Cette multiplicité de moyens présente certains
bénéfices, particulièrement, en cas d’échec d’une première stratégie, cela
permet de pouvoir relancer la poursuite du but par une nouvelle approche. Il
est donc utile de lister au départ les différentes stratégies possibles, pour
avoir des solutions de rabattement si le besoin s’en fait sentir, et d’être
bien conscient qu’un premier échec n’est que l’échec d’une stratégie, non un
échec personnel ou la preuve que le but est inaccessible. Mais cette
multiplicité de moyens a aussi un inconvénient. Il faut souvent envisager de
nombreux paramètres pour trancher entre plusieurs options sans savoir a priori quelle sera la meilleure décision. Face à la complexité et aux dilemmes, il
convient au moins de s’efforcer de prendre le maximum de décisions en amont,
afin d’éviter les biais qui peuvent intervenir quand il faut prendre une
décision importante dans une situation qui ne laisse pas beaucoup de temps.
L’idéal est de mettre en place des automatismes de décision pour obtenir
l’impact le plus systématique possible, il est ainsi possible de limiter le
risque lié aux distractions, aux mauvaises habitudes ou à la concurrences entre
objectifs.
3) Déjà, réussir le premier pas
Troisièmement, se pose la
question de la manière de se projeter dans l’action. Gollwitzer oppose la
stratégie classique des « intentions envers le but » à sa logique d'« implémentation des intentions ». Les intentions envers le but,
c’est le fait de concevoir un aboutissement particulier qu’il s’agit
d’atteindre. Elles ont la forme : « J’ai l’intention d’atteindre X »
– qui peut être un résultat ou un comportement – et ont pour principale fonction
de donner un sentiment d’obligation aux individus (pour des raisons de
consistance, nous avons tendance à essayer de faire ce que l’on dit, surtout si
on le dit en public). L’implémentation des intentions, elle, se subordonne à
ces intentions envers le but et spécifie, le où, quand, comment se feront les
étapes permettant d’atteindre le but. Elles ont la forme : « quand la situation X se présentera, je mettrai en œuvre la réponse Y ». Elles engagent ainsi
l’individu sur des stratégies d’actions plutôt que sur l’impératif du résultat
final. De nombreux bénéfices peuvent en découler, notamment en termes de
disponibilité cognitive, de détection des situations clés, d’accessibilité des
comportements, ou encore de facilité de leur mise en œuvre et de mise en place
de l’automatisation.
Bref, c’est potentiellement super....
Comment on fait ?
Pour faire simple, il s’agit d'anticiper et de se représenter l'action mise en contexte. Classiquement, une bonne méthode est de
prévoir où, quand et comment vous allez faire les choses différemment. L'enjeu est de bien
visualiser la ou les situations avec une idée claire du résultat/comportement à
éviter et du résultat/comportement souhaité. Envisagez les moyens à
utiliser, et les obstacles que vous risquez de rencontrer. L’idée de fond est
de focaliser sur comment faire plutôt que sur le fait que le résultat est
souhaitable, et de prévoir au maximum les modalités de l’action qui permettra
d’atteindre le but.
Pour les objectifs difficiles, ce qui change tout c'est de savoir où et quand vous allez commencer
De nombreuses expériences montrent
des résultats très positifs. Une étude de Gollwitzer & Brandstatter (1997)
montre qu’ajouter l’implémentation des intentions aux intentions envers le but
augmente les chances de réalisation. On demande à des étudiants deux semaines
avant noël d’énoncer deux projets qu’ils vont essayer de réaliser pendant les
vacances, un facile à mettre en œuvre et un difficile. Pour les deux
difficultés, les étudiants envisagent des choses comme : rédiger un exposé, régler un problème familial, ou avoir des activités sportives. Il leur est
demandé s’ils ont formé des intentions à propos de où et quand ils réaliseront
ces objectifs (implémentation des intentions), pour les deux niveaux de
difficultés, les deux tiers environ répondent positivement.
Après les vacances a lieu la
mesure des résultats. Pour les projets difficiles, les deux tiers des étudiants
qui ont envisagé l’implémentation de leurs intentions les ont menés à bien. Par
contre, seul un quart de ceux qui n’ont pas prévu d’implémentation a réalisé
ses projets. Pour les projets faciles, plus de 80 % des étudiants ont réalisés
leur projet sans que le fait d’avoir prévu l’implémentation fasse de
différence. L’implémentation des intentions aide donc quand les projets sont
difficiles à mettre à œuvre, et ceci notamment car elle facilite la mise en
place du premier pas vers la réalisation du projet.
Plus systématiquement, une étude de
Milne, Orbell, and Sheeran (1999), sur des étudiants qui souhaitent faire de
l’exercice, montre que l’implémentation des intentions aide beaucoup plus que
le simple fait d’avoir une intention forte. Les sujets en situation normale sont
29 % à réaliser le but (faire 20 minutes d’exercice intensif la semaine
suivante). Un autre groupe a été exposé à une sorte de séminaire motivationnel
– sur les maladies cardio-vasculaires et le fait que l’exercice régulier réduit
le risque — pour les aider à avoir une intention forte, ils sont 39 % à
réaliser le but. Enfin, un troisième groupe a été aidé à faire l’implémentation
des intentions, en plus d’avoir suivi le séminaire motivationnel, ils
parviennent eux à un taux de réalisation du but de 91 %.
Des procédures similaires ont été
étudiées et donnent de bons résultats dans de nombreuses situations, que les
tâches soient rebutantes ou plaisantes, et avec des étudiants comme avec des
patients atteints de troubles psychiques.
La volonté humaine produit des résultats, c’est un peu magique non ?
Vous pourriez me dire qu’il y a ici
un problème de définition, les « résolutions » pourraient être
envisagées comme une décision, une volonté, un engagement, ou autres concepts
qui sont autant de complications potentielles pour comprendre le phénomène.
L’idée, à mon humble avis, des artisans de ces études, peut être que chacun
prend ses résolutions comme il le peut et le souhaite dans des situations variées.
On peut au moins supposer que ces bonnes résolutions ont en commun l’intention
de faire quelque chose. Elément minimal qui est donc celui que prend en compte
la théorie, sans présupposer du niveau de raffinement de l’intention
(engageante ou non), de son élaboration cognitive (décision ou non), et des
nombreux autres paramètres qui peuvent jouer en plus.
Nous voyons ici que vouloir peut
être suivi d’effets, sans nécessiter qu’une caractéristique individuelle comme
la volonté soit prise en compte, contrairement à l’idée que l’on se fait
spontanément des causes qui expliquent que certains réalisent plus souvent
leurs objectifs que d’autres. Nous avons en fait une tendance naturelle à
chercher des explications internes aux individus (comme la personnalité) plutôt
que des explications externes (comme la situation ou ici le processus suivi).
Il s’agit là aussi d’un phénomène psychologique, qu’on appelle le biais
fondamental d’attribution, j’en parlerais dans un prochain billet.
Ah et pour ceux qui ne prennent
pas de résolutions, rassurez-vous, on change aussi malgré soi pour s’adapter
naturellement au contexte.
Pour ceux qui voudraient les
détails scientifiques, ce billet est basé sur cet article : Gollwitzer, P.
M. (1999). Implementation intentions: Strong effects of simple plans. American
Psychologist, 54, 493-503. Full text, ici.
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