Pour changer un peu je voudrais
vous raconter une recherche-action de changement de comportement, réalisée
l'été 2018, et qui consistait à faire en sorte que les gens trient à la
plage à Marseille. C’est Citeo (l’éco-organisme du recyclage des emballages et
des papiers) qui met en place le projet, en partenariat avec la Métropole
Aix-Marseille Provence et la Ville de Marseille. Ce qu’on me demande à moi
c’est d’accompagner en apportant une réflexion sur les dimensions
comportementales.
Le soleil descend sur la mer et deux poubelles, dans le joli coin de Malmousque, touristes, c’est par là.
Genèse
Au départ, sur les plages il y a
juste des poubelles (« corbeilles » ils appellent ça), différentes
versions, mais généralement un anneau métallique avec un sac. Le tri est
souvent possible, mais il faut faire quelques mètres en sortant des plages et
traverser la rue ou le boulevard. Pour ceux qui ne connaissent pas il s’agit
vraiment de plages urbaines, une rue est bordée par la plage d’un côté, et du
bâti de l’autre, notamment la plage des Catalans que vous pouvez voir sur la
droite au second plan ici :
Source, ici.
Historiquement, comme partout, on
a plutôt eu tendance à multiplier les poubelles, dans une logique je crois qui
consistait à penser qu’il fallait éviter au maximum que jeter soit un effort,
et prévenir la tentation de jeter par terre en mettant un maximum de poubelles
visibles partout. Il s’agissait surtout au départ de lutter contre les dépôts
sauvages. C’est-à-dire le fait de jeter les choses n’importe où, pratique qui
était perçue comme pas vraiment problématique jusqu’à il n’y a pas si longtemps
(au début de l’ère consumériste sans doute). Jeunes, sachez qu’il y a cinquante ans,
il paraissait assez normal aux gens de laisser leurs déchets traîner sur
l’herbe après un pique-nique, ou de balancer les choses par la fenêtre de leur
voiture sans se demander si les bords de route étaient vraiment des poubelles
(les anglophones ont un mot pour ça, le « littering »).
Donc sur nos plages de Marseille,
ils ont eu les mêmes problèmes et ont trouvés les mêmes solutions qu’ailleurs : mettre des poubelles, en nombre et au plus près des gens si possible. Ça
fonctionnait assez bien d’ailleurs. Il reste des déchets sur les plages, mais
on voit bien aux énormes tas près des corbeilles que l’immense majorité des
gens amènent les leurs aux poubelles. Comme d’habitude il suffit de 1 ou 2 % de
malappris dans la population pour générer une nuisance.
Sur la question du tri, avant
l’intervention on est très loin des 1 ou 2 % qui ne le font pas. En pratique
pourtant il suffit de faire quelques mètres en plus, il y a des réceptacles
dédiés pour les emballages et pour le verre dans les rues par lesquelles on
accède aux plages. Ils sont utilisés par les riverains (éventuellement) mais
très peu par les usagers de la plage. En fait tout semble se passer comme si la
grande majorité des gens étaient prêts à ne pas laisser leurs déchets au sol. Ils
cherchent une poubelle, si le tri n’y est pas présent, ils mettent tout là et
ne cherchent pas à aller plus loin pour atteindre la possibilité de trier. Un
dispositif qui en fait, construit l’absence de tri ! Un vrai nudge, mais
contre-productif.
- Précision supplémentaire, le sujet de la propreté, et aussi du tri, fait l’objet d’une représentation locale très négative, qui considère, grosso modo, qu’à Marseille c’est une cause perdue, avec diverses versions sur les raisons, mais globalement que la culture ou les mentalités locales sont telles que les gens s’en fichent. Pour ma part, je ne sais pas trop à quel point c’est la culture locale qui est le plus en cause. Les contraintes infrastructurelles, les choix d’organisations, la densité d’habitants (plus c’est dense moins on trie) et les problématiques sociales (majeures) participent tellement à expliquer qu’il y ait tri ou non qu’à mon humble avis, si on avait les mêmes conditions à un autre endroit on pourrait très bien avoir les même taux très faibles de tri, et on ne pourrait pas conclure que c’est un problème de l’identité Marseillaise. Enfin vous me direz que c’est ça la culture, le mélange de plein de facteurs dans un endroit donné et leur effet dans la durée…
Quoi qu’il en soit, après
réflexion individuelle et collective, analyse de la littérature sur le
changement de comportement et consultations diverses, il paraît évident que la meilleure solution consiste à supprimer les
corbeilles et à proposer le tri. Bref, il va falloir éloigner les endroits où
jeter et en mettre moins, donc remettre en cause la stratégie antérieure et demander
un effort aux usagers…
Du côté de la ville, ils comprennent
bien la logique et soutiennent l’utilité du projet, mais ils sont très inquiets
du risque d’augmentation des dépôts sauvages, et pensent un peu que notre solution
est la pire des idées possibles… L’inquiétude est ultra légitime, les équipes
qui nettoient les plages tous les jours à l’aube (et qui font un sacré boulot
soit dit en passant, sans eux il y a longtemps que plus personne n’irait à la
plage), nous ont bien expliqué les volumes impressionnants qu’on retrouve le
matin, et ça alors que les corbeilles sont présentes ! Que se passera-t-il
si on les enlève ?
C’est sûr que ça n’incite guère à
l’optimisme. En même temps, si ces dépôts ont lieu (surtout le soir et la nuit)
en présence des corbeilles, c’est bien qu’elles ne règlent pas le problème. Malgré
leurs inquiétudes ils acceptent une expérimentation ! Et j’imagine qu’ils
prennent leur dispositions pour sauver les meubles si ça rate, quelques personnes ont dû avoir des cauchemars de plages débordantes de déchets... Donc, première
expérience sur deux sites. On ne supprime pas la totalité des corbeilles, on
garde les poteaux, pour pouvoir revenir en arrière si besoin. C’est
prévoyant, mais c’est un problème, si les poteaux sont là, ça va générer de
l’ambiguïté, certains pourront croire que ça reste l’endroit où jeter. Du coup
on a mis des affiches dessus pour expliquer que ça a changé, et leur donner une
utilité de poteaux indicateurs. On aurait aimé mettre des flèches dessus pour
vraiment guider les gens, mais impossible de bien fixer le matériel. Dans ces
moments-là je désespère un peu dans mon coin et rêve à de belles expériences de
laboratoire dans lesquelles on maîtrise tous les paramètres… Bon, c’est la
réalité du terrain, on fait au mieux, en l’occurrence nous avons abouti à un
dispositif qui a une bonne chance de fonctionner a priori, c’est déjà ça !
Le nouveau dispositif
Pour détailler un peu, il s’agit donc
de supprimer les poubelles existantes et de mettre en place des abri-bacs
permettant le tri. Il est important que ces bacs ne soient pas directement sur
la plage, là où les gens s’installent, pour qu’un effort minime soit
nécessaire, mais ils doivent être visibles depuis celle-ci et sans
« concurrence » de corbeilles ne permettant pas le tri.
Cette solution est mise en place avant
le début du mois de juin sur deux sites, la petite plage des Catalans très
« fermée » avec seulement deux points d’accès et plutôt fréquentées
par les locaux, et trois plages du Prado (nord, sud et Huveaune), aux accès
très ouverts tout au long d’une avenue et aux usages et usagers plus
divers. Il ne sera pas possible cependant de retirer certaines corbeilles
proches des plages du Prado car elles servent au parc attenant.
Avant Après
L’évolution
du dispositif est accompagnée sur trois axes :
- Signalétique dédiée : consigne de tri sur les abri-bacs ; Totems ; autocollants sur les plans ; Indicateurs des nouveaux abri-bacs aux anciens emplacements des corbeilles.
- Campagnes de communication,
locale sur des points clés du terrain et nationale sur le tri des
bouteilles en plastique.
- Action d’information en face à
face,
avec des ambassadeurs du tri (ADT), des étudiants recrutés pour l’occasion,
qui seront fréquemment présents sur les plages pour informer, échanger,
expliquer les choses et diffuser les raisons de l’évolution
du dispositif. Nous leur avions préparés un petit protocole de communication ad hoc. Ils font aussi passer le questionnaire qui permet de mieux
comprendre les résultats.
Résultats
Pour le dire en deux mots, ça
fonctionne super bien ! Mais, je vais vous détailler un peu plus quand
même.
Pour ce qui est des résultats
« pratiques » :
- La presse et les médias locaux ont bien relayés l’opération, avec un peu d’ironie éventuellement, mais on voit bien que tout le monde soutien l’objectif.
- Les dépôts sauvages n’augmentent pas ! Au grand soulagement de tout le monde.
- Les tonnages collectés sont très satisfaisants, 13 tonnes sur l’été, ce n'est pas colossal mais c'est un bon début.
- Le manque à gagner baisse au fil de l’été (les recyclables/valorisables qui ont été mis dans les ordures). 38 % au début de l’été contre 25 % fin août, ça commence bien et ça progresse dans le bon sens.
Mais en plus, et surtout
dirais-je vu de ma fenêtre, les effets
sur les ressentis, comportements et mentalités sont très bons et propices à
une continuité dans la durée !
- Le repérage des abris-bacs et l’identification de leur fonction (84% des gens ont repérés et compris fin août) augmente au fil du temps pour plafonner en fin d’été. L’usage suit le même mouvement, 70% des gens s’en servent fin juin, contre 90% fin août.
- Les gens adhèrent fortement au projet dès le début (82%) et cela augmente encore au fil du temps (92% fin août), les rares critiques concerne la distance aux bacs et leur rareté (forcément vu qu’on les a éloigné et raréfié) ou le manque de visibilité.
- 73% de gens disent trier au moins rarement au début de l’expérience contre 94% fin août. Le déclaratif vaut ce qu’il vaut, mais le progrès souligne que l’image du geste évolue dans le bon sens même pour les faibles trieurs !
- Un excellent effet sur les représentations. Le sentiment d’utilité du geste plafonne à 98 % de très positifs à la fin de l’été contre 86 % au début. Idem pour l’impression que les autres trient, 32 % des personnes disent que les autres trient fin juin contre 67 % à la fin de l’été ! Nous sommes passés du sentiment que le tri est réalisé par une minorité au sentiment que la majorité le fait ! C’est une petite révolution sur ce point majeur pour permettre et maintenir ce geste. En outre, nous voyons aussi que le sentiment de « savoir comment faire » suit le même chemin, réduisant encore les freins qui peuvent limiter le geste de tri.
Bien sûr des améliorations sont
possibles. Particulièrement sur la visibilité et l’identité des abris-bacs.
L’enjeu étant le fait d’identifier que ces abris-bacs remplissent la fonction
des poubelles, ce qui n’a rien d’évident contrairement à ce qu'on peut penser intuitivement. Les gens qui cherchent une poubelle
sont surtout à l’affût d’une forme pré-identifiée et peuvent passer devant les
abris sans leur accorder assez d’attention pour se rendre compte de ce que
c’est.
Au global, cette expérimentation aura
permis d’installer un dispositif performant, et c'est d’autant plus satisfaisant que l’on craignait
qu’un tel résultat soit complètement inaccessible. Le changement est donc bel
et bien possible aussi dans ce contexte spécifique. Les conditions étant
impérativement de retirer la solution antérieure, avec une mobilisation de tous
les acteurs, et avec de l’accompagnement et de la communication, même si ce
dernier point pourrait être intéressant à confirmer expérimentalement.
L’ensemble montre un effet majeur et
rapide sur les pratiques comme sur les mentalités, tellement d’ailleurs, qu’à
mon humble avis, on peut espérer s’en servir pour faire évoluer l’image locale
du geste et étendre les bonnes pratiques sur cette base au-delà des plages. Un
déploiement sur des nouvelles plages à d’ailleurs eu lieu pour l’été 2019, je n'ai pas encore les données pour juger du résultat.
Pour ceux qui voudraient en savoir plus, il existe un rapport détaillé, que l’on peut trouver chez Citeo. Je
peux vous mettre en relation si besoin.
Poubelle la vie ! Comme on dit sur France 3...
L'opération est sans approche artistique. Et malheureusement je n'ai pas vu l'étude profond "pourquoi".
RépondreSupprimerBonjour,
RépondreSupprimerMerci pour votre présentation, j'aimerai beaucoup avoir accès au rapport détaillé de CITEO, pouvez vous nous mettre en contact ?